Je ne sais plus trop comment l'idée de partir en Islande s'est imposée à nous à la fin de l'année 2008. toujours est-il qu'en cette période où il est plus commun de rêver de palmiers et de sable chaud, nous avons décidé de partir explorer ce lointain pays nordique.
Nous avons arrêté notre itinéraire après avoir un peu cherché sur Internet, et découvert ce Trek classique que constitue le Laugavegur, un peu moins de 80 kilomètres entre Landmannalaugar et Þorsmörk que nous avons prolongé par sa variante jusqu'à Skógar, sur la côte. Cet itinéraire est réputé pour être magnifique et très varié, offrant un concentré de tout ce que l'Islande a de plus beau aux yeux émerveillés du voyageur. Nous avons été conquis; vous jugerez par vous-même avec les photos de ce récit!
Itinéraire
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Premier jour, Vendredi 17 Juillet 2009
Cette première journée sera essentiellement consacrée au voyage qui nous acheminera de Paris à Skógar où nous avons choisi de commencer notre voyage. Partis vers 5h pour un vol matinal, nous traversons d'un pas vif les quartiers déserts d'une ville encore endormie pour aller chercher le premier train vers l'aéroport, où nous ferons la queue au check-in avec une armée de jeunes scouts dont nous apprendrons plus tard qu'ils se rendaient à un vaste rassemblement de ce mouvement de jeunesse, qui réunit quelques trois mille d'entre eux pour partager leurs expériences diverses et faire un peu la fête!
Arrivés à Reykjavik en milieu de matinée, nous aurons le loisir de compléter notre matériel, avec des recharges de gaz, et surtout une canne à pêche et un permis! Un bus en fin d'après-midi nous amène finalement à destination, et nous installons nos tentes sous une bruine froide et des nuages bas au camping de Skógar qui ressemble un peu à un camp de base, avec toutes ces petites tentes d'expé éparpillées sur la pelouse!
Deuxième jour, Samedi 18 Juillet 2009
Après une longue nuit réparatrice, nous décollons vers 9h, sous un ciel plombé et un très léger crachin. Nous contemplons au passage les chutes de Skógafoss, qui se jettent dans la plaine d'une hauteur de soixante mètres. On raconte qu'un coffre se trouverait derrière la cascade, déposé ici par le Viking Þrasi Þórólfsson. Un enfant trouva le coffre quelques années plus tard, mais ne put en prendre qu'une poignée, et le reste du trésor serait toujours caché derrière la muraille liquide...
Le sentier qui serpente dans la montagne est facile à suivre, mais il grimpe beaucoup et nous n'y sommes pas seuls. De nombreux Islandais relient Skógar et Þorsmörk pour le week-end, et plusieurs groupes nous suivent ou nous précèdent. A mesure que nous nous enfonçons dans les nuages cependant, nous les perdons un peu de vue, mais l'atmosphère se charge d'humidité et le crachin se transforme bientôt en une pluie froide et mordante qui tombe sans discontinuer.
Plusieurs heures durant, nous progressons en direction du col de Fimmverðuháls, près de mille mètres au dessus de nous. L'effort, le terrain rocailleux et la pluie s'ajoutent à a fatigue du voyage et en font un parcours difficile. Pendant un moment, le lit de la rivière Skóga, profondément creusé dans la montagne, nous accompagne de son puissant grondement, mais lui aussi finit par s'éloigner.
Vers treize heures, trempés, fourbus, démoralisés, nous parvenons au refuge de Baldvinsskali, petite cabane humide, crasseuse et bondée où nous ne sommes que trop heureux de pouvoir nous abriter de la pluie. Riz au pesto et chocolat reconstituent nos forces et notre moral et nous nous installons à l'étage où je passe quelques temps à discuter avec deux Israéliens et trois Allemands pendant que le reste de l'équipe s'allonge pour dormir.
Plusieurs heures plus tard, le temps s'est découvert, et les premiers rayons du soleil percent enfin les nuages. Nous sortons pour profiter de la vue sur le glacier Eyjafjallajökull et les fantasmagories minérales qui nous entourent.
Reposés, séchés et ragaillardis par cette longue halte, nous décidons alors de faire ce que seul l'été arctique autorise; nous repartons, un peu après 19h, avec l'ambition de franchir le col et d'aller aussi loin que possible de l'autre côté. Les Israéliens nous accompagnent un bout de chemin, trop heureux de pouvoir contempler les magnifiques paysages que les nuages leur avaient cachés dans l'après-midi.
Nous avons décidé de parcourir le Laugavegur dans le sens sud-nord, qui n'est pas habituel; aussi croiserons nous de nombreuses personnes le long du chemin, qui nous renseigneront sur ce que nous réservent les prochaines étapes. C'est ainsi dans la neige qu'ils nous avaient promise abondante autour du col que nous faisons nos adieux à nos éphémères compagnons de route.
Nous poursuivons notre progression dans les névés, et serons rejoints et dépassés, un peu avant le col, par un islandais qui, parti de Skógar en milieu d'après-midi, ambitionne de filer d'une traite jusqu'à Þorsmörk que nous ne comptons rallier nous-mêmes que le lendemain après-midi. Nous le surnommerons "La Fusée"...
Quand à nous, malgré une inquiétude passagère concernant la météo, nous profitons de la vue magnifique qui s'offre à nous sur l'autre versant de la montagne, que nous rejoignons doucement. Il est 23h passées, le soleil va se coucher plein nord, il éclabousse les glaciers et les sommet en face de nous;... jugez plutôt.
Nous commençons, émerveillés, notre descente vers la mer de nuage qui roule à nos pieds, ses flux et reflux venant se briser sur les îles minérales qui en émergent ça et là jusqu'à l'horizon. Bientôt cependant, la pente devient plus raide, et les névés réapparaissent; le dernier d'entre eux, particulièrement impressionnant, plonge vertigineusement devant nous, et nous suivons des yeux la trace qui le franchit pleine pente et va se perdre dans la brume dense un peu plus bas. Au delà, impossible de savoir ce qui nous attend. Replat, lacets... précipice?
Il nous semble repousser les nuages devant nous, car à mesure que nous descendons des montagnes en émergent plus hautes et plus nombreuses. Les brumes s'affaissent comme la nuit tombe, et nous révèlent des décors époustouflants; îles volcaniques égarées au hasard d'un océan de nuages, explorées par d'improbables navires de pierre fendant les nuées dans leur course immobile...
Après une longue descente ponctuée de quelques passages un peu délicats, signalés par une ligne de vie courant le long de la paroi sur une centaine de mètres à chaque fois, nous finissons par monter le campement dans une semi-pénombre sur le premier terrain à peu près plat que nous ayons trouvé, face aux montagnes, et nous couchons avec les yeux plein d'images. Il est plus d'une heure du matin.
Troisième jour, Dimanche 19 Juillet 2009
L'aube a suivi de près le crépuscule de la veille, et le soleil est déjà haut, mais invisible dans le ciel blanc, lorsque nous quittons les tentes. Le temps paraît plus clément que la veille, et nous pouvons nous représenter plus clairement dans le paysage le parcours qui nous attend pour la journée.
Nous entamons peu après la longue descente qui conduit vers la vallée de Þorsmörk, une plaine de roches grises parcourue du cours hésitant des nombreux bras du fleuve Krossá qui peut se distinguer juste au dessus des tentes sur la photo.
Le sentier suit l'arête d'un des contreforts des montagnes que nous avons franchies la veille, et offre bientôt des perspectives vertigineuses sur les ravins creusés dans la roche tendre par des ruisseaux fougueux. Certains passages un peu acrobatiques sont doublés de lignes de vie, comme celles que l'on peut croiser un peu plus haut: un câble métallique retenu à la paroi par des cavaliers d'acier solidement vissés dans la roche.
Nous arrivons dans la vallée, et traversons en fin de matinée un terrain de camping propret assez plein en ce dimanche matin; beaucoup d'islandais viennent ici pour faire la fête le samedi soir, tractant avec leurs jeeps monstrueuses de confortables caravanes sur la piste sinueuse qui rejoint la route principale. Nous la suivons quelque temps pour aller chercher le pont qui franchit le cours principal de la Krossá un peu en aval. Le lit de la vallée ne présente cependant que très peu de relief, et le fleuve l'inonde de ses multiples bras; il faut fréquemment, pour la traverser, franchir de petits cours d'eau boueux. C'est l'occasion d'expérimenter la solution que nous avons retenue pour les franchissements de rivières: des sacs poubelles de grande capacité, enfilés par dessus chaussures de marche et pantalon et serrés aux genoux, doivent nous permettre de guéer les rivières peu profondes que nous nous attendons à rencontrer; sur le papier c'est séduisant; sur le terrain, c'est un fiasco, les sacs n'étant, loin s'en faut, pas assez résistants pour les roches abrasives qui en tapissent le lit. Je fais grâce au lecteur des photos montrant ces misérables bouts de plastiques éventrés pendant à nos pieds trempés... Pourtant, je suis sûr qu'avec un peu d'ingéniosité cette idée pourrait permettre de confectionner des cuissardes légères et étanches!
Le pont franchissant la Krossá permet d'éviter de guéer son cours principal puissant et tumultueux, et le sentier bien aménagé qui le prolonge ramène, sur le versant nord de la vallée, vers le refuge de Skagfjordsskali où une petite épicerie nous permettra de compléter notre ravitaillement.
Nous sommes rejoints au milieu de notre déjeuner par les trois allemands laissés la veille à la cabane de Baldvinsskali. Ils auront passé presque une journée entière là-bas, stoppés dès leur départ par le temps capricieux... Ils s'installent à côté de nous à la terrasse du refuge, et nous discutons un moment. Les deux garçons sont des trekkeurs expérimentés, mais la fille qui les accompagne est novice en la matière; sportive accomplie, elle voulait découvrir la randonnée et la vie au grand air; partie seule pour l'Islande, elle a jugé plus prudent de s'adjoindre ces deux rassurants compagnons rencontrés au dernier moment dans le bus pour Skógar.
Nous repartons après cette longue halte et traversons bientôt le bois de Thor, qui donne son nom à la vallée. Seule forêt naturelle d'Islande, ce petit bois de bouleaux nains tordus par le vent exhale de douces senteurs végétales par cette chaude fin d'après-midi.
Les collines basses et boisées qui s'étendent vers le nord en quittant le refuge sont parcourues de nombreux sentiers de randonnée à la journée sur lesquels de nombreux imprudents perdent parfois leur chemin, mais nous les traversons sans nous égarer et franchissons le lit très ramifié de la rivière Trönga en essayant une dernière fois, sans beaucoup plus de succès, notre technique d'ensachage. Le soir s'installe lorsque nous franchissons la crête qui surplombe le cours d'eau au nord, et nous redescendons dans la large vallée du fleuve Markarfljót où de vastes pâturages offrent des contrastes estompés d'ocre et de verdure.
C'est un peu à l'écart du chemin, dans ces paisibles solitudes, que nous montons le campement et nous endormons sans délai.
Quatrième jour, Lundi 20 Juillet 2009
C'est sous un ciel dégagé que nous mettons le nez dehors pour découvrir un paysage éclaboussé du soleil matinal.
Le chemin part vers le nord-est en suivant, à bonne distance sur la gauche, le cours du Markarfljót. Nous avançons contre la pente aujourd'hui, et gagnerons lentement quelques centaines de mètres avant le soir, mais nos premiers pas se font sur un sol assez égal où la lave poreuse commence à apparaitre entre les mousses et le sable noir. Nous avançons ainsi plusieurs heures, montant et descendant bientôt les pentes de petites collines séparées par les combes creusées par d'étroits ruisseaux. Il y a un peu plus de monde sur le chemin aujourd'hui, mais les paysages sont magnifiques, bordés par le Mýrdalsjökull qui étire ses immensités glacées à main droite.
Nous parvenons peu après la mi-journée à un ravin profond et encaissé creusé par un affluent du Markarfljót, que le sentier franchit en empruntant un étroit pont de bois.
De là, le chemin monte assez raide pour franchir la crête qu'on devine sur la droite de la photo, et nous croisons un québécois au milieu de la pente; nous causons un peu des paysages, et il nous promet des merveilles pour les jours à venir. Il déplore aussi que le terrain ne soit pas propice à l'utilisation de son carrix, une sorte de brancard à roulette permettant de tirer son sac plutôt que de le porter, mais qui se prête mal aux pentes raides et au terrain parfois torturé que l'on rencontre dans ce pays. Nous lui souhaitons bon vent et continuons notre petite ascension, qui nous amène bientôt au voisinage du refuge de Botnar où nous sommes rejoints par nos amis allemands alors que nous déjeunons; c'est décidément une habitude!
Nous profitons de l'après-midi, qui pour se reposer, qui pour aller explorer le canyon de Markarfljótsgljúfur dont on nous a beaucoup vanté la beauté. Creusé par le fleuve Markarfljót dans des roches volcaniques, ce gouffre profond de 200 mètres est une explosion de couleurs minérales à couper le souffle.
Sous la lumière rasante du soleil, les tons rouges, noirs et ocres des falaises sont adoucis par les mousses vertes et les eaux bleues du torrent; nous ne nous lassons pas de les contempler...
Cette petite excursion depuis le refuge ne prend pas beaucoup plus d'une heure, aussi nous décidons de poursuivre notre route à la faveur de la lumière persistante. Le chemin monte raide en quittant le refuge, et conduit sur les étendues désolées du désert d'Emstrur. Cette immense étendue de sable noir et de lave séchée rappellerait le Mordor de Tolkien si il n'était parsemé de petites touffes de fleurs blanches qui s'agrippent farouchement à la roche .
Le tracé du chemin réussit habilement à éviter la monotonie, suivant d'abord un petit ravin pour approcher ensuite les sommets moussus qui jaillissent ça et là de l'immensité noire.
La progression est lente et un peu irréelle sur un tel terrain, car l'œil manque de repères pour mesurer les distances...
Bientôt cependant, nous arrivons au large cours de la rivière Blafjallkvist que nous devons guéer; l'eau glacée nous monte par endroit à mi-cuisse, et le courant est puissant; heureusement, le lit est plutôt ensablé et notre traversée nu-pieds ne me laisse aucune séquelle. Certains n'ont pas cette chance, et le froid mordant leur causera des douleurs persistantes aux pieds qui mettront plusieurs heures à disparaître! Il aurait définitivement été plus sage de se munir de sandalettes pour traverser les rivières.
Il faut deux lieues pour traverser le désert d'Emstrur, et nous finissons par le quitter aux environs du fort bucolique refuge de Hvanngil. Nous commençons à chercher un endroit où dormir, mais le vent nous interdit le sommet des collines d'où la vue est pourtant superbe; c'est peu après les derniers flamboiements du soleil de minuit que nous finissons par nous installer dans une combe étroite et abritée, à un jet de pierre du chemin.
Cinquième jour, Mardi 21 Juillet 2009
La nuit réparatrice nous a remis d'aplomb, mais nous devons démarrer tôt pour éviter de trop nous faire remarquer par les randonneurs les plus matinaux. Après avoir plié les tentes, nous commençons la journée en traversant à gué la rivière Bratthálskvísl. Le cours est lent et peu profond, mais l'eau est toujours aussi glaciale...les collines qui nous font face sont vite traversées, et nous débouchons de l'autre côté sur le lac Álftavatn. Nous décidons de profiter du soleil pour s'accorder une journée de repos après la longue marche de la veille et avant d'attaquer les montagnes qui nous séparent encore de notre destination.
Nous payons notre écot auprès de la jeune gardienne qui nous accueille avec son bébé dans les bras, et nous nous installons sur le terrain de camping depuis lequel la vue sur le lac est imprenable!
Nous passerons le reste de la journée à faire la sieste à l'ombre, et surtout à pêcher! Le lac lui-même n'est pas très propice à la pêche car son fond est assez plat auprès des rives, et notre canne à lancer ne s'y prête pas bien. En revanche, un petit cours d'eau émissaire s'en écoule paresseusement à quelques pas de là, et nous y devinons les silhouettes de carnassiers en maraude. Notre spécialiste en la matière, Damien, prend les choses en main et fait, de son propre aveu, la pêche la plus miraculeuse de son existence. En quelques heures, nous sortons de l'eau plusieurs petits poissons qui se jettent voracement sur notre cuiller. Ils seront délicieux au déjeuner, préparés au court-bouillon!
C'est la première fois que nous attrapons, préparons et cuisinons un animal. Se nourrir d'un poisson qui nageait juste à côté de là il y a quelques heures à peine procure un sentiment de plénitude et de communion avec la nature extrêmement fort et nous décidons d'en attraper d'autres pour le soir. Nous immortalisons notre mascotte posant fièrement à côté de ses victimes, l'arme du crime à ses pieds!
Le ciel de l'après midi se voile un peu, et au milieu de notre séance de pêche, nous admirons le passage d'une grande harde de chevaux islandais escortée par quelques cavaliers. Ils arrivent de l'horizon dans un nuage de poussière, au trot, et contournent le lac pour disparaître sur la piste vers l'est. La réputation d'amoureux de la race équestre de cette petite nation viking ne semble pas usurpée!
En fin de journée, nous discutons avec quelques autres pensionnaires du camping, notamment deux français qui font griller des merguez sur un barbecue jetable. Il s'agit d'un produit commun en scandinavie: sous un film plastifié, du charbon et un allume feu sont retenus dans une barquette d'aluminium épais et couverts par une grille. Il suffit d'ôter le film, de bouter le feu et d'attendre que les braises soient chaudes pour se préparer des grillades: nous négocions un bout de grille en échange de quelques-uns de nos poissons prêts à cuire, et nous nous régalons de notre pêche de l'après-midi, encore meilleure au barbecue!
Nous apprenons par contre que le bois utilisé pour les refuges Islandais n'est pas ignifugé comme chez nous: nos amis avaient commis l'erreur d'installer leur brasier à même les planches... Si vous passez par là un de ces jours et observez un cercle noir sur la terrasse, ne cherchez pas plus loin.
Reposés, repus et heureux de notre halte, nous nous coucherons tôt ce soir là.
Sixième jour, Mercredi 22 Juillet 2009
La journée s'annonce magnifique, et nous plions le camp tranquillement, trop heureux de nous réchauffer aux rayons du soleil matinal. Comme à notre habitude, nous levons le camp tardivement, parmi les derniers, et nous lançons sur la piste vers Landmannalaugar.
Le chemin file au nord-est vers les montagnes, et nous marchons quelques temps au milieu de douces pentes couvertes d'herbe où paissent les moutons.
Le sentier s'élève bientôt de façon un peu plus raide, et nous cheminons dans la pente. Il faut avaler presque quatre cent mètres sur une courte distance, sur un sol rocailleux et glissant; nous croisons de nombreux randonneurs qui semblent peiner encore plus à la descente! La vue qui s'offre à nous lorsque nous atteignons un large replat rachèterait cependant toutes les souffrances du monde...
Une petite pause avant de repartir, de quitter ces panoramas immenses et verdoyants, et d'entrer dans un monde qui se met à verser, peu à peu, dans la fantasmagorie.
C'est d'abord, trois fois rien, la couleur du sol qui change un peu, des rouges minéraux et des ocres pastels qui succèdent aux verts et aux noirs des jours précédents; ensuite, le relief proche, qui semble à la fois s'adoucir et se durcir; il y a moins d'angles, mais plus rien n'est plat. La montagne s'impose doucement, invite ses névés, se laisse caresser par les rivières qu'ils abandonnent...
Et puis, soudain, on bascule complètement dans un autre monde lorsque la terre se met à fumer. On a beau s'y attendre, on a beau le savoir, le spectacle est extraordinaire.
Le chemin, habilement, ondule sur les lignes de crêtes et donne au passage à voir, à entendre, à humer de nombreuses fumerolles et sources chaudes. C'est vraiment ici, comme sans doute sur de nombreux volcans, que la force souterraine se rappelle le mieux à notre souvenir.
Les sources d'émerveillement sur les hauteurs désertes et balayées par les vents que nous parcourons sont si nombreuses que nous prenons notre temps malgré le froid qui nous accueille chez lui, dans la montagne. De l'eau crayeuse bouillonne dans de petits bassins, des rivières au lit d'un rouge ferreux ruissellent, et courent follement dans leur écrin moussu; l'immensité muette explose d'énergie.
Le vent forcit avec l'altitude, et les névés se font plus nombreux; la neige est dure et sale, et parfois enjambe des ruisseaux par de larges arches que nous craignons de voir céder sous notre poids, mais l'édifice est solide. A l'horizon, blotti au nord de cet étroit plateau, le refuge de Hrafntinnusker est le plus haut perché du parcours; ses emplacements de camping, étagés sur la pente au dessous du bâtiment, sont entourés de petits murets de pierre pour protéger les tentes du vent qui peut souffler en tempête sur ces terres désolées.
Nous nous abritons sur la terrasse et avalons un déjeuner tardif. Nous profitons de la vue et décidons de continuer notre route jusqu'à Landmannalaugar; nous sommes au milieu des vingt-quatre kilomètres que compte l'étape depuis Álftavatn.
Depuis le refuge, le chemin monte un peu et entre dans un paysage extraordinaire; nous marchons dans un champ d'Obsidienne, cette roche volcanique aux cassures aussi lisses et tranchantes que le verre, mais sombre comme l'ébène. Lorsque le soleil perce entre les nuages, et que sa lumière basse rase le paysage, les roches scintillent froidement et nous éblouissent de leurs reflets glacés. L'air est vraiment froid là-haut, et le vent mordant. Les névés encombrent encore l'essentiel du plateau; on passe bientôt juste à côté d'une stèle élevée à la mémoire d'un jeune randonneur, Ido Keinan, mort de froid sur ces terres désolées le 27 Juin 2004. Lorsque le blizzard se lève, que la pluie glacée fouette le corps à l'horizontale, et que l'équipement ne suffit plus à protéger du froid, on comprend que le désespoir s'installe... ce genre de rencontre met un peu de plomb dans la tête.
Les Névés se succèdent et recouvrent une partie du désert minéral de ces hauts plateaux désolés. Nous croisons de plus en plus de monde, sans doute des randonneurs à la journée partis de Landmannalaugar; nous sourions en voyant les yeux ahuris de certaines promeneuses caparaçonnées dans leur combinaison de ski, bonnet vissé jusqu'aux yeux, sidérées de voir Damien se promener en short dans la neige! Il ne doit pas faire dix degrés et le vent souffle sans discontinuer, mais l'effort réchauffe.
Nous arrivons au terme des montagnes, et la vue s'élargit. De vastes panoramas s'ouvrent sur le nord et l'est, où nos regards parcourent de nouveau l'immensité. C'est également le premier champ de lave que nous allons traverser depuis le début du parcours, et cette formation est impressionnante!
Le chemin serpente à flanc de montagne, entre les blocs de basalte, les profondes vallées et les chèvres des collines au poil épais. La descente dans la vallée de Landmannalaugar est époustouflante; toutes les couleurs de la création semblent avoir été convoquées ici par la puissance des volcans pour parer le lieu de teintes minérales aux nuances infinies.
Nous descendons doucement, savourant ces dernières heures de marche malgré le vent qui se déchaine contre nous dans la fraîcheur de la fin d'après-midi. Les fumerolles, les sources chaudes, animent toujours de leur chaleur et de leurs sifflements bouillants les flancs de ces montagnes hallucinées.
Après la traversée spectaculaire du champ de lave, le chemin contourne les derniers blocs avant la destination, en faisant un petit détour par une verte vallée où paissent de paisibles bovins. Un étang aux eaux alcalines se blottit contre le basalte. On se croirait en Irlande... Si ce n'était pour les montagnes ocres et nues.
Nous arrivons avec le soir sur la vaste plaine de Landmannalaugar, et installons notre tente sur le terrain de camping, universellement reconnu comme un des plus mauvais du monde, laissant le choix entre un sol complètement pierreux ou excessivement humide. Faute de place, nous tâchons de nous tirer au mieux de la seconde option. Une fois le gîte installé, nous allons décrasser nos corps endoloris et reposer nos esprits dans les sources chaudes naturelles qui offrent au randonneur, à un jet de pierre de là, l'opportunité de savourer de la façon la plus directe possible tout le sens du concept d'énergie géothermique!
C'est ici que se termina notre randonnée sur le Laugavegur. Il restait encore bien des merveilles à découvrir au-delà: l'Islande a cette capacité magnétique de vous attirer sans répit vers son horizon toujours ouvert et chargé de promesses.
Alors, promis: nous reviendrons.